Agnès et moi

 

“Je sais que je semble perdue, que je donne l’impression de m’éparpiller, de prendre les mauvaises décisions, de fréquenter les mauvaises personnes. Je sais que tu penses que je suis complètement tordue, mais crois-moi, je sais maintenant où je vais. Je travaille pour devenir la meilleure version de moi-même, c’est juste que je me suis perdue un peu en chemin.”

Bonjour les amis,

J’ai arrêté d’écrire pendant 2 ans.

À la fin du deuxième tome des Chroniques d’une princesse machiavélique, je ne savais plus où j’allais. J’avais planifié bien sûr quasiment jusqu’à la fin cette série. Mais quelque chose clochait. Quelque chose n’allait pas. Je m’ennuyais en écrivant, je ne sentais plus le piment, l’étincelle, le bonheur d’écrire et de m’amuser. À cette époque, la Lily que j’étais ne pouvait imaginer mettre de côté son plan pour prendre les chemins de traverse et laisser aller ses personnages. J’étais psychorigide sur les bords, très entêtée, un monstre du contrôle. Et je me disais que ce qui était décidé pour Agnès, son futur, son prochain petit copain, la fin tant attendue, ne pouvait pas être changé, c’était quasiment gravé dans la pierre puisque je l’avais décidé.

Donc l’ennui est arrivé. Insidieux, toujours. Mais présent. À tel point que cela devenait compliqué d’écrire ne serait-ce qu’un chapitre tous les 15 jours.

Mais j’ai terminé le livre. J’ai entamé le Tome 3 de quelques pages. Et puis, comme ça. D’un coup. Tout s’est arrêté.

Ou bien tout a commencé, je ne sais pas au juste.

Mon fils aîné est arrivé. Je l’attendais celui-là, il était né pour me sauver, pour m’aider à aller mieux après ce premier bébé disparu, envolé, que je voulais tellement oublier.

La Une du journal disait le jour de sa naissance : Bienvenue sur Terre, en référence à ce jeune qui avait gagné le Vendée Globe. Un clin d’œil de l’Univers.

Et c’était tout à fait ça. Bienvenue, bienvenue mon petit roi…

J’ai plongé dans son odeur de bébé, dans ses gazouillis, dans ses yeux curieux. Puis j’ai repris le travail. À l’époque, j’étais agent immobilier. J’ai foncé tête baissée dans mes locations, dans l’organisation du quotidien, dans le bonheur de cette nouvelle vie. Et j’ai oublié d’écrire.

Je pensais souvent à Agnès mais j’avais peur. Je n’aimais pas la laisser coincée dans son bazar, comme si elle était prisonnière d’une petite cellule et incapable de voir la lumière. Je culpabilisais de la laisser comme ça pourrir, ma princesse machiavélique. Je l’entendais parfois qui m’appelait, elle voulait que je l’aide à aller mieux, que je la sauve, que je lui trouve enfin son chemin. Mais je ne pouvais pas m’en occuper, je n’arrivais pas à la délivrer, je ne savais pas où elle devait aller (avec Phoebus, avec Jeff, avec Allan…?), et je n’avais pas le courage de l’emmener à l’endroit prévu dans mon plan, ce ne serait pas bon pour elle. Ça ne marcherait pas. C’était un échec cuisant pour ma princesse et moi. Pour la première fois nous étions dans l’impasse, enfin elle en l’occurrence, elle était en cellule.

Parfois le soir, j’ouvrais le premier tome sur mon ordinateur et je relisais. J’aimais bien ce premier tome, plein de promesses, de rires et d’émotion. Et puis, je reprenais ma dizaine de pages de plan détaillé pour la suite de la vie d’Agnès, et je n’avais pas le courage de m’y mettre. Je m’ennuyais d’avance. Rien n’allait, rien ne collait. Pourtant, je n’arrivais pas à me décider à changer ce plan.

Parce que pour Agnès, c’était le plan de sa vie. Et moi dans ma vie, je n’avais pas d’autres possibilités que de suivre le plan qu’on avait établi pour moi. Comment la délivrer alors que j’étais incapable d’avancer de mon côté.

Alors j’éteignais l’ordinateur et je partais me coucher. Je me rassurais. Après tout, ce n’était pas grave. J’avais ma petite vie confortable, et Agnès n’était rien de plus qu’un personnage de papier, né dans mon imagination fertile. Elle se rajouterait à la longue liste de choses auxquelles j’avais renoncé.

Un jour, elle mourrait de faim et de soif dans sa cellule et le sol serait jonché de phrases desséchées et de mots vains. Mais ce n’était pas grave, elle faisait partie du passé.

Puis, assez rapidement j’ai appris qu’un nouveau bébé pointerait le bout de son nez.

Un nouveau cadeau. Pour Noël celui-là.

A ce moment-là, Agnès n’existait plus dans mes pensées. J’avais cessé de penser que je pourrais un jour terminer ce livre et lui trouver une fin heureuse. J’étais noyée dans le quotidien. Un quotidien qui me pesait terriblement. Je n’en pouvais plus de mon travail, j’aimais les gens, nos rencontres, leurs histoires, mais j’avais l’impression de passer à côté de ma vie. J’avais l’impression que je ne me réalisais pas, que ce n’était pas moi, celle de l’autre côté du bureau qui rédigeait des baux, ou faisait des états-des-lieux. Je décidais que ce bébé me sauverait aussi. A l’époque je comptais toujours sur les autres pour me sauver.

Je me fis la promesse de ne pas reprendre mon travail après cette naissance.

C’était l’occasion parfaite, j’allais avoir du temps pour trouver une formation, faire le point sur ma vie, savoir où enfin je voulais aller.

Et puis, cette vie m’a rattrapée. Je n’ai pas réussi à savoir ce que je voulais. La routine me paralysait. J’avais peur du brouillard devant moi, j’avais peur de l’inconnu. En fait, j’étais comme Agnès, prisonnière d’une cellule et j’étais en train de crever.

Je suis donc repartie travailler après mon congé maternité et j’ai eu mal. Qu’est-ce que j’ai eu mal. J’ai commencé à me dire que c’était fini, que je ne trouverai jamais ce pour quoi j’étais sur Terre, que je n’avais aucune idée de comment me réaliser. Que je serai une imposture et une hypocrite aux yeux de mes enfants, me plaignant sans bouger, bougeant sans avancer. C’était l’impasse.

Je commençais à m’asphyxier, me voyant revivre tous les jours la même journée, cette même journée se transformant en années. Et je n’avais pas de courage, pas de force pour changer.

Mais comme il fallait absolument que je trouve de l’air, même une bulle petite, mon corps ou mon âme, je ne sais pas, quelque chose au fond de moi, comme un instinct de survie, m’a renvoyée dans mes années lycée. Ces années où pour m’échapper de l’ennui, je m’étais mise à écrire.

Je n’entendais plus la voix d’Agnès depuis un long moment déjà. Je ne savais même pas si elle voudrait encore de moi pour la sortir de cette cellule sordide dans laquelle je l’avais abandonnée. Mais en tendant l’oreille au fond de moi, comme si je me réveillais, je me suis rendu compte qu’en réalité elle n’avait jamais cessé de m’appeler.

Il était temps. Je n’avais plus peur, j’étais prête à tout pour reprendre l’écriture et terminer cette histoire. Agnès serait mon échappée.

Deux ans c’est long sans écrire. Je ne m’étais pas arrêtée totalement bien sûr, j’avais écrit des chapitres entre Agnès et Matéo qui n’étaient pas prévus dans le plan et que j’ai rajouté par la suite, j’avais essayé d’écrire un petit conte parlant de la mort aux enfants, Sujet tellement compliqué pour moi que je n’ai jamais pu trouver la fin. Mais là, il s’agissait d’autre chose. Il s’agissait de terminer ce que j’avais commencé, et surtout de libérer Agnès. L’aider à trouver la paix.

C’était une nécessité. Et cette fois, je savais au fond de moi que je n’allais pas abandonner.

J’ai donc rapporter ses escarpins à ma princesse et elle les a enfilés. Nous avons repris la route toutes les deux, 15 ans après notre première rencontre sur les bancs du lycée.

Le 23 Mai 2015 au soir, après avoir couché mes fils, j’ai mis mes écouteurs dans les oreilles et j’ai repris le plan initial. J’ai relu, j’ai gardé les passages que j’aimais et rayé tout le reste. Puis, j’ai commencé à écrire. Je me rappelle parfaitement, il s’agissait du chapitre lorsque Phoebus va voir Andro dans son cabinet d’avocat (qui fait partie du Tome 2 maintenant). C’était dur de m’y remettre. Je ne me rappelais plus vraiment de qui était Phoebus. En deux ans, je l’avais perdu un peu de vue, sa voix et ses mots arrivaient difficilement dans ma tête. Et puis, c’est revenu. A force d’écrire, c’est redevenu facile. Et c’est encore plus facilement, que j’ai laissé tomber le plan initial.

Au diable ce put**n de plan, me suis-je dit. Il faut qu’Agnès vive ce qu’elle a à vivre, et on verra bien pour la fin. Après tout dans la vie, on ne sait jamais comment ça finit, avant que ça finisse.

J’ai donc écrit tous les soirs de la semaine et les week-end pendant les siestes de mes fils. Je m’accordais une soirée avec mon mari le samedi, histoire de décompresser. Mais même là, Agnès et ses folles histoires me manquaient. En fait en reprenant le clavier, je venais de me marier à l’écriture, avec toutes les conséquences que cela a engendré par la suite.

J’avais retrouvé le feu sacré. Je m’amusais, j’avais envie de faire vivre à Agnès des histoires d’amour, je voulais qu’elle vibre, qu’elle grandisse, qu’elle apprenne, qu’elle s’épanouisse et surtout qu’elle s’émancipe.

J’ai donc au fur et à mesure mis en place un nouveau plan, et une nouvelle façon d’écrire.

Si le chapitre ne venait pas facilement je trouvais un nouvel angle d’approche pour faire passer mon message, je changeais de narrateur si besoin. Je me laissais une liberté totale et je m’éclatais. Bien sûr, je faisais attention à ce que l’histoire soit cohérente, l’évolution des personnages également, mais je me suis libérée dans ma tête de ma rigidité. Après tout, j’écrivais pour me faire plaisir.

A l’agence, je ne vivais plus que pour retrouver le soir Agnès et sa bande d’amis. La vie était plus vivable d’un coup, l’air plus respirable.

Agnès grandissait et moi aussi, à ses côtés. Je lui donnais de la force pour se remettre de cet amour sans retour et cela gonflait mes poumons de fierté. Je devenais forte avec elle, sans m’en rendre compte.

Je glissais les mots dans sa bouche, ou bien elle me soufflait les phrases sur le bout de mes doigts. A la fin, je ne sais plus qui de nous deux parlait.

Je ne savais plus si c’était moi qui écrivait le livre sur elle, ou bien si c’était elle qui me dictait ce que j’écrivais.

Il s’est passé quelque chose d’extraordinaire sur ce tome 3. Une sorte de magie a opéré. J’ai fusionné avec mes personnages, j’ai prédit l’avenir sans le savoir. Les discours tenus par Agnès sur son désir d’authenticité résonnent en moi. Et je me retrouve beaucoup dans ce qu’elle vit, dans ce qu’elle dit, dans ce qu’elle vibre. C’est comme si à travers elle j’avais projeté mon avenir sur la page blanche.

J’ai terminé le Tome 3 en septembre 2015. Soit 3 mois après avoir repris l’écriture. Et je ne me suis plus arrêtée d’écrire depuis.

Le 15 décembre 2015 je posais le point final sur la dernière page du Tome 4 en pleurant comme une madeleine (je l’avoue).

Le 17 décembre je donnais ma lettre de démission pour me lancer en tant qu’auteur indépendant.

J’avais délivré Agnès de sa cellule, mais en réalité en reprenant la plume, c’est moi que je venais de sauver.

With love

Lily

PS : Le Tome 4, sortira en février 2018. Ecrit en 3 mois également, il est la fin de cette

 

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