Vie d’auteure – Deauville on my mind

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Cela fait un moment déjà que je veux parler de Deauville.

De ce moment crucial.

De ces quelques heures magiques en dehors du temps avec ma girl.

Cela fait un moment que Deauville tourne dans ma tête, que je me rappelle du vent glacial, des lumières de la ville, du marché et de ses odeurs… de cette douleur dans mon cœur et de cette incapacité à respirer pleinement.

Et puis je l’ai vue ce matin ma best girl pour un café sur Talence. Un café vite fait pour parler de cette lourde année 2017, deux petites heures avant qu’elle ne s’envole bien loin dans l’Océan Indien. Et comme je ne sais pas si elle va revenir, je me dis… bien sûr qu’il faut que j’écrive sur Deauville, sur elle et moi, sur ce moment de silence et de plénitude qui nous a envahies lorsque face à la mer nous nous sommes retrouvées face à nous-mêmes.

*

Noël arrive à grands pas et j’ai l’impression de ne plus pouvoir lever mes pieds d’un sol gluant. C’est si dur de parler, si dur de faire semblant, si dur de continuer. Et ce putain de Noël qui arrive…

Elle est là ma girl, assise sur le banc dans mon jardin, face à moi. Elle m’a parlé elle aussi de sa souffrance, des hommes inconstants et de leur capacité à infliger la douleur sans aucun remord, sans aucune empathie envers la sensibilité d’autrui. Et puis nous avons parlé des autres souffrances aussi, celles qui remontent loin, à l’enfance, et qui nous définissent, ces blessures auxquelles en devenant adultes nous essayons d’échapper. Et comme toujours elle me parle avec le sourire, les yeux brillant de force et de volonté.

Les rayons du soleil plus lumineux en hiver se posent sur son visage qui me scrute.  Maintenant, c’est moi qui parle. Elle m’écoute en train de lui raconter (…)

Il fait froid mais nous sommes dehors, enveloppées dans nos écharpes et nos bonnets. Nous ne voulons pas rentrer, nous avons besoin d’air et de liberté.

Elle essaie de me rassurer à sa manière, de me consoler sans jamais s’apitoyer.

Et moi je suis là, je l’écoute et je l’adore. Et je me dis que peut-être elle aussi a besoin d’un break. D’un moment dans une bulle, juste pour s’échapper. Pour qu’on soit un peu en paix, tranquille, loin de tout et surtout du quotidien.

Alors, je craque :

— J’ai envie de partir… juste envie de partir loin et de respirer. Je pensais partir à Deauville, je ne sais pas pourquoi…

Enfin, si… je sais pourquoi. Mais j’en parlerai une autre fois.

Elle a un regard grave, mon amie. Elle aussi est à la croisée des chemins. Nous sommes en train d’évoluer et notre mutation est douloureuse. Comme si notre peau muait et que dans l’attente de la cicatrisation de notre nouvelle enveloppe nous étions là, écorchées vives à la merci de la moindre émotion.

— Je viens avec toi…

L’idée de partir loin quelques jours nous rend plus légères. On peut déjà mettre de la distance avec nos peines de cœur et nos histoires de famille…

*

— Ouh la… Deauville c’est très loin Lily, remarque mon père en ouvrant de grands yeux. Et sur 3 jours ?

Je me suis déjà échappée, je reste la semaine chez mes parents. L’hiver est glaçant aux abords de Noël, la gelée n’a pas disparu de la journée, les vignes sont dans la brume. Et j’ai la drôle d’impression que le temps est à mon image : un terrain glacé, brisé, totalement figé.

Je hoche la tête et réponds sur un ton détaché :

— Oui, Deauville. Sur trois jours.

Et comme souvent lorsque je veux m’en sortir d’une jolie pirouette, je me lance dans une explication qui désamorce la moindre remarque.

— Ce n’est que 800km, on va faire le voyage en deux fois en dormant à Poitiers la première nuit. Et puis conduire, moi j’adore ça… et Marion est avec moi. Elle pourra prendre le relais lorsque je serai fatiguée.

Je sais pertinemment que Marion ne conduira pas ma voiture car je ne la prête jamais. Mais ça, je préfère ne pas le dire à mon père.

— On parle de faire 1600 km en 3 jours, la veille de Noël ?

— Oui. Ce sera super. On rentrera juste avant le réveillon. Tout va bien tu sais…

Non, tout ne va pas bien. J’ai perdu 5kg en quelques semaines et l’aiguille continue de descendre, je n’arrive plus à manger et j’ai beaucoup de mal à dormir…

Il voit bien que tout ne va pas bien mais part vérifier le niveau d’huile de ma voiture sans plus insister.

Si elle veut aller à Deauville à ce point, c’est qu’elle a besoin d’aller à Deauville.

*

— Maman, à Deauville il y a aussi des supermarchés.

Je suis prête à partir, je dois récupérer Marion à la sortie de son travail avant de filer vers Poitiers.

— Mais si vous avez faim dans la voiture, au moins tu n’auras pas à t’arrêter…

Elle me tend un sac rempli de provisions. Elle est comme ça ma maman, elle prend soin de tout, elle pense à tout, elle s’inquiète de tout. Elle sait surtout que je saute facilement les repas si je n’ai rien à manger sous la main.

Je regarde les victuailles. Il y a du pain, des mandarines, du fromage, des abricots secs, des crudités… un petit festin.

— Tu vas faire quoi là-bas ?

J’hésite.

— Oublier cet amour. Me retrouver. Grandir. Ouvrir les yeux. Avancer.

*

Vous êtes ICI

Voilà ce qu’indique la pastille rouge collée sur l’immense carte de France plastifiée, affichée en repère aux voyageurs.

Vous êtes ici, et pourtant, je ne me suis jamais sentie plus nulle part de toute ma vie.

On se regarde et on rit.

De notre surprise.

De notre ignorance de la géographie française, un comble pour deux anciennes élèves de la fac d’Histoire.

— Tu savais que c’était si loin Deauville ?

— Non… mais maintenant que j’y pense, ma carte de France était pliée en deux, je n’ai vu que la moitié du trajet…

Un rire nerveux nous secoue.

Nous sommes le 22 décembre.

Nous sommes sur une aire d’autoroute au milieu de la France, entre Le Mans et Tours.

Apparemment, nous sommes ICI.

Étrange de voir cette bulle nous indiquer avec précision notre position géographique en France et dans le monde.

Alors que dans nos têtes nous n’avons jamais été plus paumées…

*

Il fait froid à Deauville. Très froid. Et nous, nous sommes deux filles du Sud et nos pieds sont gelés, et nos nez sont gelés, et nos mains sont gelées… mais nous y sommes. Gelées.

Après la route, les bouchons, la pluie, le ciel bleu, le coucher du soleil sur Cabourg, Deauville… enfin, nous voilà à Deauville.

Ce moment hors du temps, ce moment qui nous appartient. On y est, on le vit. C’est notre parenthèse, notre bouffée d’oxygène. Je peux respirer enfin, loin du quotidien.

Lors de notre unique soirée à Deauville, l’idée me vient de jeter une bouteille à la mer. Je récupère la bouteille de vin rouge que nous avons bu au restaurant entre deux fous rires. Je veux y glisser mes poèmes et la jeter dans la Manche.

C’est un geste que je trouve romantique. Aujourd’hui il me semble désespéré.

*

Là, nous marchons sur la plage à 800 km de nos soucis…

Il est 14h… il faut déjà repartir. Nous n’avons pas envie de repartir. C’est trop court. Je n’ai pas eu le temps de jeter la bouteille. Je n’ai pas assez respiré cet air.

Et pourtant, il est bientôt l’heure. Je ressens déjà comme un manque.

C’était si bien de me sentir légère, loin de tout.

Nos bottes sont dans le sable et le vent nous fige sur place. La Manche s’étend à perte de vue. La plage est immense, vide, lumineuse sous le soleil… elle scintille des millions de débris de nacre qui la parsèment.

Et on parle encore et encore.

Avec Marion on parle tout le temps. Lorsque je dis tout le temps, c’est vraiment tout le temps. Il n’y a jamais de blanc. Et on parle de tout, surtout d’Histoire et de relations humaines, on parle d’amour, de la famille et de la difficulté de s’entendre, on parle de notre vision de la vie, des émotions, de ce qui nous semble être bien, de ce qui nous choque… les sujets sont infinis.

Je prends mille photos, je fais des films. Je ramasse des coquillages.

Mon Dieu laissez-moi ce souvenir… qu’il m’emplisse le cœur, qu’il me donne la force de rentrer à la maison, la force de m’en sortir…

La mer s’étend devant moi, immuable, le vent me glace… et brusquement Marion se tait.

Elle est là, à quelques pas de moi, elle sait qu’il faut rentrer, quitter la plage… quitter notre moment, le laisser sur le sable. Fermer la parenthèse. Revenir à nos vies.

Et le silence m’envahit… c’est calme soudain avec ce silence, cette absence de bruit qui porte tous les bruits.

Cette absence de voix qui porte ta voix et la fait disparaître.

Ces regrets et cet amour qui me pèsent s’envolent dans le vent.

Il se passe quelque chose à ce moment-là. Dans ce silence, ce moment-clef bat comme un cœur.

Clef parce qu’il déverrouille une porte en moi.

Cœur parce que je me réveille derrière cette porte.

J’ai la gorge nouée et Marion ne dit toujours rien. Elle se laisse remplir comme moi par l’immensité, ce moment suspendu comme un fil dans le vide. Nous venons de comprendre que nous ne pouvons plus continuer nos vies de cette manière. Vivre des parenthèses pour respirer et s’échapper. C’est ridicule de respirer à plein poumons une seule fois par an. On n’échappe pas à la vie. Quelque chose doit changer. La parenthèse doit s’allonger et rattraper la vie.

Alors oui, je vais certainement pleurer, bien sûr que je vais souffrir, mais dès que j’en aurais la force, il me faudra partir

Il nous faudra partir.

Il nous faudra changer.

Finalement, c’est le seul moyen de nous libérer.

*

Tu vois Marion, je pense pouvoir dire que depuis ce séjour nous avons acquis notre liberté. Et elle est belle cette liberté, elle est douce, elle est un peu folle aussi comme notre amitié. Et aujourd’hui la bulle rouge qui nous indique ICI, n’a jamais été plus près de la vérité… Ou que soit ICI, finalement, tout nous va, nous nous sommes perdues pour mieux nous retrouver et je crois que nous ne serons plus jamais paumées.

Et puis, tu sais j’ai jeté la bouteille dans mon récent déménagement. Je n’ai plus envie de porter le poids du passé.

Bon voyage ma belle,

With love

Lily

0 Replies to “Vie d’auteure – Deauville on my mind”

  1. Jerry dit :

    J ai ete aspire par les phrases et les mots. Le temps s est ralenti pendant la lecture. Quelle force ce degage de ce recit. Ce qui me touche le plus c est la douceur qui nous accompagne du premier au dernier mot

    1. Merci beaucoup Jerry pour ce retour. J’en suis très touchée… Effectivement, ce fut une période pénible dans ma vie mais néanmoins nécessaire, cela faisait un moment que je voulais écrire sur ce moment, j’y suis enfin arrivée et si le résultat est celui que tu décris, alors je suis satisfaite… Bises et à très vite !

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